mardi 26 février 2008

Ecoutez vos yeux


Bonjour tout le monde,

Comment allez-vous tous en France, en Ukraine, en Chine, en Guinée Bissau ou ailleurs...

Nous, on fait aller. Oui, je passe beaucoup de temps sur la toile, sur mes nombreuses boîtes mails et le site du Sans-Culotte. Pourquoi ? Pas par obsession, car autant vous dire que je suis bien loin de l'actu yonno-yonnaise, vendéo-vendéenne et que je ne m'en porte pas plus mal... Non, si je surfe ainsi, c'est pour m'ouvrir chaque jour une petite fenêtre psychologique, une porte de sortie mentale. Parce que si le physique peut être bancal, en revanche, laissez son moral partir en spleen, là ça devient problématique pour soi et pour le groupe...

Et comme vous l'a dit Eric, pour nous la lutte est aujourd'hui mentale. Nous sommes un peu comme des taulards espérant la perm de sortie ou même la grace présidentielle.

En même temps, je viens de comprendre ce qui se tramait ici. Tambacounda est une ville sans âme, sans esprit, sans passé et même pire sans avenir. Ici, tout ou presque n'est que résignation. On le serait à moins dans cet endroit écrasé par la chaleur où le moindre geste coûte de tels efforts. Où la moindre sortie se paye cash le soir notamment au niveau respiratoire.

Voilà ce qui manque à cette ville : de l'air ! De quoi respirer, espérer, rêver... Car, un peuple sans espoir, sans rêve, n'avance pas. Et Tamba, me semble-t-il, fait du surplace. Et nous entraîne dans son sillage, alors que nous sommes que de passage. Imaginons, imaginez donc la vie au jour le jour des Tambacoundais. On ne peut leur jeter la pierre... Juste être triste et impuissant. Le pire des sentiments pour notre club des cinq pas vraiment habitué à l'inaction et à la léthargie... Depuis dix jours, nos âmes et nos consciences sont piégées. C'est douloureux, mais c'est comme ça !

Je vous ai souvent parlé de ce que nous entendions et voyions depuis notre départ de Dakar. Or, à Tamba, là encore, ça ne fonctionnait pas. Aucun horizon visuel n'existe ici, aucune porte de sortie. Pas de fleuve à scrutin, encore moins de Mauritanie ou de Mali pour s'évader... Non, à Tamba, si la ville, la rue, les gens font bien du bruit, cela n'a rien à voir avec le tourbillon d'une Thiès, d'une Saint-Louis ou encore d'une Matam. Et comme j'ai horreur de ne pas comprendre, de ne pas saisir l'environement dans lequel je vis, j'évolue, j'ai essayé de me caler. Notamment devant la télé. Et c'est hier soir que j'ai enfin saisi la clé du problème, en scrutant moitié éveillé un spot de la RDV, concurrente privée de la très officielle et présidentielle RTS : "Ecoutez vos yeux" m'a dit la petite lucarne...

Bien sûr... Quand il n'y a aucun chant d'espoir, de vie à glaner dans les rues, dans le bruit des enfants (plus de pleurs que de rires) dans celui des passants, il reste que le chant de la procuration : la télé, unique ouverture sur le monde, au-delà de Tambacounda. Ecouter ses yeux, c'est donc s'abandonner, ne plus boire dans l'abreuvoir de l'espoir. Ecouter ses yeux, c'est aussi fuir la réalité pour la fiction américaine, pour le bourrage de crâne islamique, pour la Ligue des champions, ses passements de jambes et son fric indécent... Ecouter ses yeux, c'est ne croire que ce que l'on voit et donc ne même pas imaginer qu'autre chose est possible.

C'est insupportable à notre vision du monde, à notre envie de partage, de lutte et de construction. C'est la réalité de milliers de Tamba de part le monde.

Cette escale est sans doute notre pire erreur et en même temps une chance incroyable de nous ouvrir les yeux. Et de ne pas uniquement croire que la vie est un long fleuve Sénégal tranquille où l'on vous accueille forcément à bras ouverts.

En terminant ce message, je ne pense qu'aux élèves avec lesquels nous travaillons depuis une semaine. Des enfants, âgés de 8 à 14 ans, d'une intelligence, d'une culture, d'une réactivité incroyables. Des gamins aux potentialités qu'on aimerait de temps en temps retrouver chez les ultra gatés de La Roche et de la France entière. Des élèves qui, eux, ne peuvent pas se dire J-3. Et ça, je peux vous dire que ça me fait bien plus mal au bide que la courante pas marrante qui m'a fait faire des genu flexions le week-end dernier.

Bien à vous.
Pierre-Yves et toute l'équipe.

1 commentaire:

Bernard a dit…

Tu aurais dû intituler ce billet "grosse fatigue" ou "marche à l'ombre", pour y mettre une note d'humour...
Vu d'ici, le jugement paraît un peu sévère, même si on comprend le choc dû à la différence (ne serait-ce que climatique) et la souffrance qui en découle. Tout le monde ne peut vivre au bord du désert... c'est une expérience extrême pour vous.
Courage, c'est le moment de s'accrocher et de bien faire ce que vous avez à faire, car ça vaut vraiment le coup pour tout le monde.
BB et Mth